3) Les perspectives de croissance des dépenses : un défi majeur
La situation financiere de l'assurance maladie est déja critique : 11Md€ de déficit prévu en 2004 ; une tendance – certes récente mais inquiétante – a l'endettement. Cette situation résulte évidemment pour partie d'éléments conjoncturels, liés au fléchissement de la croissance économique. Mais si les appréciations peuvent diverger sur l'ampleur exacte de cette dimension conjoncturelle, toutes les expertises se rejoignent pour admettre la présence d'effets structurels, que beaucoup considerent comme tres largement dominants.
D'ailleurs, la demande sociale, qui se traduit par l'expression d'un besoin élevé de garanties dans la dispensation des soins, les exigences des professionnels en termes de conditions de travail et de revenus, auxquelles s'ajoutent sur longue période les effets du vieillissement de la population et l'évolution des techniques médicales amenent a penser que, malgré les améliorations concomitantes de la productivité, les dépenses de santé continueront a croître, peut etre a un rythme un peu inférieur a celui des dernieres décennies, mais tres vraisemblablement significatif (la plupart des projections retiennent des taux de croissance spontanés supérieurs de 1 a 2 points a l'évolution du PIB). Cette tendance peut néanmoins etre infléchie par une meilleure organisation du systeme de soins.
Les projections financieres – c'est a dire les prévisions « toutes choses inchangées », qui supposent que l'organisation de l'offre de soins n'est pas réformée, que les recettes évoluent spontanément comme la richesse nationale, et que le systeme de remboursement reste stable – sont claires pour les années a venir : avec l'hypothese d'une croissance des dépenses supérieure de 1,5 point a l'évolution du PIB, le déficit annuel (en euros constants 2002) passerait a 29Md€ en 2010 et a 66Md€ en 2020 (hors charges de la dette).
Un tel niveau de déficit ne peut etre raisonnablement envisagé.
Face au défi qu'il représente, deux orientations doivent etre absolument écartées :
En premier lieu , et au-dela d'ajustements conjoncturels, il ne serait pas admissible de recourir de façon systématique a l'endettement, inacceptable sur le plan moral dans la mesure ou les générations de nos enfants n'ont pas a payer nos dépenses courantes, et destructeur sur le plan financier : par un effet de boule de neige, l'endettement se nourrit par lui-meme, les charges financieres venant grever de façon écrasante le déficit courant ; elles représenteraient alors 20% du déficit de l'année 2020.
Le Haut Conseil est ainsi unanime dans son refus de recourir a un endettement massif pour couvrir la croissance des dépenses de l'assurance maladie.
En second lieu , il faut prendre garde de ce que, devant la difficulté de lever de fortes recettes ou celle d'augmenter massivement le ticket modérateur, il s'installe une forme de rationnement insidieux des soins, l'assurance maladie renonçant alors a assumer le progres des sciences et des techniques médicales. Restreindre subrepticement le périmetre des soins remboursables ne permet de maintenir – ou de ne pas trop dégrader – le taux de remboursement qu'en apparence, puisque c'est sur une base qui se réduit, et se fait au détriment de la qualité des soins.
Les contraintes sont, des lors, tout a fait considérables :
Car s'en remettre a la seule augmentation des recettes aboutirait a doubler la CSG ; son taux passerait de 5,25 a 10,75 points a l'horizon 2020, soit un prélevement supplémentaire de 66Md € . Une telle pression sur les prélevements obligatoires conduirait d'ailleurs a un effet d'éviction massif au détriment des autres besoins collectifs. Alors que le taux de prise en charge publique des soins est le plus élevé parmi toutes les fonctions du budget social, vouloir le maintenir intangible en augmentant les cotisations assecherait toutes les marges envisageables pour les autres politiques publiques.
D'un autre côté, s'en remettre exclusivement a une baisse des remboursements conduirait a remettre en cause les principes de solidarité et d'égalité qui sous tendent l'assurance maladie. Pour couvrir le déficit a l'horizon 2020 sans recettes nouvelles, il faudrait en effet diminuer de 21 points le taux de prise en charge dans les régimes de base ou il passerait de 76 a 55% de la dépense de santé.
Une dégradation de ce type impliquerait notamment qu'on touche durement aux régimes d'exonération des assurés qui supportent les plus grosses dépenses.
Le Haut Conseil estime, en conséquence, que si l'action simultanée sur plusieurs leviers doit évidemment etre envisagée, il faut, au tout premier ordre, faire porter des efforts résolus sur la maîtrise des dépenses injustifiées et l'optimisation de l'offre de soins, seuls a meme – ainsi qu'on l'expose plus loin – de desserrer l'étau financier et d'apporter des solutions durables a l'équilibre du systeme.
L'opinion, au demeurant, n'acceptera pas des efforts financiers supplémentaires si, parallelement, elle demeure persuadée que le systeme de soins, dont elle critique les abus et le gaspillage, n'est pas réexaminé en profondeur. Elle craindra que ces efforts ne soient pas équitablement répartis, ou ne se dissipent dans les dysfonctionnements non corrigés du systeme.
2) Le Haut Conseil constate de graves carences dans les outils de « pilotage » du systeme
Le Haut Conseil attire également l'attention sur les carences en matiere d'instruments d'amélioration de la qualité et de l'efficience des soins. La encore, les manques qui sont constatés peuvent tres souvent s'expliquer par l'absence d'un responsable explicitement désigné, ou par l'absence de répartition précise des tâches.
Ainsi, le Haut Conseil a notamment pu constater les insuffisances notoires en matiere d'élaboration, et plus encore, de diffusion des références de bonnes pratiques de soins. De nombreux acteurs y contribuent : il s'agit a l'évidence d'un processus complexe, qui comporte a la fois des aspects tres techniques, des dimensions de pédagogie, des dispositifs d'incitation – voire des questions de logistique – et qui doit donc, tres normalement, mobiliser beaucoup d'intervenants. Mais l'orchestration d'ensemble n'est pas assurée. Il n'est pas possible, aujourd'hui, sur ce point capital, de se fixer collectivement des buts pratiques et quantitatifs ambitieux, et d'en demander compte a un organisme qui aurait tous les moyens d'aboutir.
De meme, aucune collaboration efficace entre l'assurance maladie obligatoire et les organismes d'assurance complémentaire, ou aucune participation active des professionnels de santé a la gestion du risque, ne sont envisageables sans que soit organisé un large acces aux informations médicalisées sur la consommation de soins.
Le Haut Conseil releve avec attention les craintes qui s'expriment quant au respect du secret médical individuel. Il s'agit d'une liberté fondamentale, dont il ne suffit pas d'affirmer le principe : il faut aussi que les instruments de sa protection concrete soient mis en place avec suffisamment de rigueur. Cela n'ôte rien, cependant, a l'immense effort qui reste a faire pour renverser un certain état d'esprit chaque fois qu'il s'agit de données ou de rapprochements de données dont la divulgation ne peut ni porter atteinte au secret médical, ni servir, a l'insu de l'assuré, a une sélection du risque : c'est alors le partage d'information qui doit etre la regle, et la rétention l'exception.
Enfin, et pour donner encore un autre exemple, les outils d'audit et de contrôle de la gestion du systeme, c'est-a-dire de mesure permanente, et critique, de l'usage des ressources, de l'organisation des services – aussi bien sanitaires qu'administratifs – et de l'efficacité de leurs résultats, sont notoirement insuffisants.
Plus que de simples instruments, il s'agit d'une fonction complete, et d'un axe de responsabilisation des dirigeants des différentes structures. La dépense publique d'assurance maladie est, on l'a dit, et pour des raisons qui tiennent souvent aux principes memes du systeme, une dépense largement administrée. Il est donc particulierement nécessaire de disposer d'autres mécanismes d'optimisation que ceux que peuvent spontanément susciter les mécanismes de marché. Une meilleure connaissance des mécanismes économiques et de formation des couts, et l'introduction d'outils élaborés de pilotage et de gestion, non seulement sur le volume mais sur le bon emploi des fonds, sont ainsi indispensables.
3) Le Haut Conseil considere que les évolutions institutionnelles, qui sont nécessaires, doivent impérativement associer transfert de compétences et transfert de responsabilité
En conclusion, il apparaît au Haut Conseil que plusieurs dysfonctionnements institutionnels retentissent sérieusement sur le fonctionnement du systeme de soins et de prise en charge. Ceux-ci sont d'importance et de nature tres diverses : il y a les étanchéités et les rigidités d'organisation au sein meme des institutions, a commencer par l'Etat ; il y a, entre les institutions, et notamment entre l'Etat et les organismes d'assurance maladie, des confusions de pouvoirs et de responsabilités ; il y a, enfin, l'accumulation quelques fois caricaturale d'organismes de gestion – que l'on pense, par exemple, a la multiplicité d'intervenants au niveau régional. La conséquence en est, souvent, l'absence de décideur identifié et pleinement responsable. D'ou une plus grande difficulté a surmonter les multiples et inévitables résistances aux réformes ; l'extreme lenteur de déploiement de certains outils indispensables (volet médical de la carte Vitale, dossier médical partagé, tarification a la pathologie, réforme de la nomenclature, systeme national d'information, etc …) ; et le fait que des instruments tels que la formation professionnelle continue ou les référentiels de bonne pratique ne parviennent pas a s'installer de maniere dynamique.
L'urgence est triple : chaque fois que possible, mieux répartir, par entités cohérentes, les pouvoirs et les responsabilités ; a défaut, stabiliser les frontieres de compétence sur des bases claires, afin de mieux organiser le dialogue entre les institutions appelées a se coordonner ; enfin, instaurer aux divers degrés des formes de délégation et de responsabilisation plus nettes a l'égard des cadres dirigeants.
Le Haut Conseil estime qu'il faut, en outre, agir franchement dans le sens d'une plus grande diversité d'expressions démocratiques et de représentations des usagers et des professionnels de santé, dans différentes instances du systeme d'assurance maladie.
S'agissant des répartitions de pouvoirs, il n'entrait pas dans les perspectives du présent rapport, qui porte sur l'état des lieux et le diagnostic, que le Haut Conseil y propose des redécoupages de compétences pour l'avenir. On peut cependant affirmer que la question institutionnelle n'est pas une question seconde. Sa solution commande le bon fonctionnement du systeme de soins, et la conduite organisée des changements qu'il faut y apporter.
De nombreux schémas de « gouvernance » peuvent évidemment s'opposer. Le Haut Conseil estime qu'ils devront cependant se rejoindre sur au moins deux points. D'une part, ils doivent procéder, lorsque cela est crédible, par délégation globale de compétence a un acteur précis. Le systeme repose trop, aujourd'hui, et a tous les niveaux, sur des pilotages coordonnés, dans lesquels chaque partenaire conserve en réalité son autonomie et ses prérogatives.
D'autre part, cette délégation de pouvoirs doit s'accompagner d'une pleine responsabilité de celui qui bénéficie de la compétence, qui l'oblige a rendre des comptes sur les résultats que l'on attend de lui. Sur bien des points – a commencer par l'équilibre financier– il est aujourd'hui possible, et nécessaire, que la collectivité se fixe des objectifs ambitieux, non seulement qualitatifs mais aussi quantitatifs : diminution de la consommation de médicaments, diffusion de référentiels, évaluation des pratiques, égalité des conditions d'acces aux soins sur le territoire, etc. C'est en liaison avec de tels objectifs, et pour se mettre en capacité de les tenir, qu'il convient de penser les nouvelles répartitions institutionnelles.
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